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French only

Cachez cette poète que l’on ne saurait entendre

«Le système de contrôle des sociétés démocratiques est fort efficace; il instille la ligne directrice comme l’air qu’on respire.»
Noam Chomsky

Le battage médiatique qui fait suite à la parution d’une lettre de JMG Le Clézio dans Le Monde à propos des projets hydroélectriques sur la Romaine est un cas d’espèce; voici la presse «libre» et «objective» qui se met à ânonner les mêmes généralités en passant à côté de l’essentiel. Objectif: faire taire toute dissidence quitte à prendre quelques libertés avec les faits.

Première assertion assassine: l’écrivain aurait un point de vue romantique (sous-entendu: les Européens ont des points de vue romantiques et les élites d’Hydro-Québec des vues rationnelles). Lyrique et rousseauiste, Le Clézio représenterait «les plus hauts cénacles de la curie littéraire française» (Mario Roy dans La Presse). L’hallali médiatique est sonné: haro sur les maudits Français!

À ces-derniers pourtant, nul de nos éditorialistes patentés ne songeraient à reprocher le fait d’accueillir avec enthousiasme les vues mythiques et romantiques qu’un Gilles Vigneault véhicule sur le Québec dans ses chansons; alors on parlera plutôt de «nos sympathiques cousins d’Outre-Atlantique». Le reproche sélectif ne vaut que pour les solidarités mal venues qui écorchent Hydro-Québec, poule aux oeufs d’or et vache sacrée. Et pourquoi faudrait-il informer le lecteur que JMG Le Clézio fuit les cercles élitistes, n’habite pas Paris et s’avère allergique à toute coterie? On ne s’embrasse pas de la vérité quand on doit faire une job de bras

Deuxième assertion, qui est corolaire de la première, l’écrivain exprime un point de vue étranger au territoire réel et aux gens qui l’habitent; ce qui permet à Jean Charest de poser au sage en invitant Le Clézio à venir rencontrer les gens du Québec pour être au fait.

Or, pour qui a vraiment lu le texte paru dans Le Monde, c’est à un hommage à une femme d’ici que se livre Le Clézio. C’est, en effet, d’abord et avant tout un texte qui vient appuyer, en lui donnant une résonnance importante, le combat de Rita Mestokosho, écrivaine innue qui, au nom de l’héritage culturel que constitue l’occupation humaine millénaire des rives de la Ulamen Shipi, s’oppose aux visées technocratiques sur ce qui nous reste des grands espaces naturels du Nord. C’est cette voix dissidente que le tintamarre médiatique vise d’abord à faire taire en tirant sur Le Clézio. Une femme capable d’écrire et de s’exprimer aussi bien dans la langue innue comme dans la langue française, qui entonne droite et fière un chant qui s’oppose au vacarme des tronçonneuses et des bulldozers qui s’activent pour envahir le territoire ancestral, voilà le véritable scandale. Car si cette poète était entendue bien des choses pourraient changer. Ici politiciens, médias et technocratie s’entendent à merveille pour contourner la difficulté; en l’ignorant, tout simplement.

Rita Mestokosho reste, j’ai toutes les raisons de le croire, le seul écrivain d’ici qui ait été fait l’objet d’une mention dans une discours d’acceptation du Nobel de littérature (par Le Clézio, justement). Cet honneur aurait incombé à tout autre que nos journalistes eussent gloussé en choeur de l’honneur fait au Québec. Mais voilà, cette poétesse-là est infréquentable. Après le peuple invisible, voici venu les temps du peuple inaudible.

On reproche enfin à Le Clézio d’avoir qualifié Hydro-Québec de multinationale capitaliste. Ici, j’opinerais dans le sens de la critique; Hydro-Québec étant une entreprise d’État, un monopole tentaculaire, l’adjectif «stalinien» serait plus juste. Quoique Chomsky, plus haut cité, a justement argué que la distance entre les deux termes est moins grande qu’on serait porté à le croire.

André Dudemaine
Montréal, 3 juillet 2009

 


Lettre au président de la Commission d’éthique du Comité international olympique

Montréal 2 octobre 2008

Commission d’éthique du Comité international olympique
Monsieur Youssoupha NDIAYE, président
Villa du Centenaire
Avenue de l’Élysée 28
1006 Lausanne
Suisse

Monsieur le Président,

La présente est pour formuler une plainte contre M. Richard Pound pour avoir tenu des propos racistes et discriminatoires portant gravement préjudice aux Amérindiens. Il a ainsi contrevenu, en tant que partie olympique, à son devoir de « fidélité à l’idéal olympique inspiré par Pierre de Coubertin » (préambule du Code d’éthique du CIO). La charte olympique stipule que « Toute forme de discrimination à l’égard d’un pays ou d’une personne fondée sur des considérations de race, de religion, de politique, de sexe ou autres est incompatible avec l’appartenance au Mouvement olympique »

Les faits

Suite à la question de la journaliste Agnès Gruda

« Q: Pourtant, depuis que Pékin a été choisie comme ville-hôtesse des Jeux, il y a eu la répression de la révolte tibétaine, le soutien chinois au gouvernement soudanais face au Darfour, l’emprisonnement de nombreux dissidents. Ne trouvez-vous pas que c’est gênant? »

M. Richard Pound répond :
« R: Il ne faut pas oublier qu’il y a 400 ans, le Canada était un pays de sauvages, avec à peine 10 000 habitants d’ascendance européenne, alors qu’en Chine, on parle d’une civilisation de 5000 ans. Il faut être prudent avec notre grande expérience de trois ou quatre siècles avant de dire aux Chinois comment gérer la Chine. Le président de la Chine doit permettre à 1,3 milliard de personnes de manger deux repas par jour. Leur situation n’est pas comparable à la nôtre. »

Ces propos ont connu une large diffusion puisque l’entrevue a fait l’objet d’une publication dans le premier cahier du journal La Presse de Montréal, édition du samedi 9 août 2008, et qu’elle a par la suite été rendue disponible sur Internet via le site de www.cyberpresse.ca

Le préjudice

M. Richard Pound est un homme éminent. Il est chancelier de l’université McGill, membre des barreaux du Québec et de l’Ontario, membre du Comité international olympique, président de l’Agence mondiale antidopage, auteurs d’ouvrages concernant le droit et l’histoire. Sa position sociale de porte-parole du mouvement olympique et ses titres professionnels lui donne un prestige qui confère aux avis qu’il exprime un poids important auprès de l’opinion publique et, dans le cas qui nous occupe, ont un impact considérable sur les personnes qu’il déconsidère.

Par ses propos, il affirme que les Amérindiens n’avaient ni culture ni civilisation (« un pays de sauvages ») et que seule la présence de « à peine 10 000 habitants d’ascendance européenne » représentait en terre canadienne la vie civilisée. Il réaffirme son propos en parlant de notre expérience « de trois ou quatre siècles », excluant ainsi du patrimoine humain et de l’histoire canadienne les apports culturels et civilisateurs des nations amérindiennes qui ont élaboré au cours d’une occupation millénaire du territoire des langues, des cultures, des organisations sociales et politiques, des réseaux d’échange commerciaux, des techniques agricoles, des religions, des pratiques artistiques, des sports (qu’on retrouve aujourd’hui dans les Jeux olympiques), des liens diplomatiques et des modèles de développement respectueux de l’environnement.

Les préjugés racistes et ethnicistes envers les Amérindiens ont eu historiquement des conséquences tragiques : exclusion de la vie politique, relégation dans des réserves, négation des droits sociaux, expropriation des territoires, enfermements des enfants dans des pensionnats concentrationnaires.

Ce douloureux héritage est loin d’être liquidé puisque la marginalisation des populations issues des Premières Nations constitue encore aujourd’hui un défi constant pour le progrès des droits humains au Canada comme dans toutes les Amériques. En témoignent éloquemment, la solennité dont le parlement canadien aura voulu entourer les récentes excuses officielles présentées aux victimes des écoles résidentielles ; la préoccupation de la communauté internationale qui s’est exprimée par une Déclaration universelle des droits des peuples autochtones ; les nombreux programmes de sensibilisation à l’histoire et aux réalités des peuples premiers qui ont vu le jour au Québec et au Canada, dont celui mis sur pied par la Commission des droits de la personne et de la jeunesse du Québec.

C’est donc un recul considérable pour ceux qui se sont organisés pour lutter contre la discrimination dont sont victimes les Premières Nations quand les préjugés les plus tenaces se trouvent soudain renforcés de l’opinion exprimée par un personnage investi du prestige et de l’autorité de l’olympisme. C’est cette même aura de prestige attaché au mouvement olympique qui assure à l’auteur des propos susmentionnés de toucher un public important à travers des médias de large diffusion.

La sanction

Simplement fermer les yeux face à l’expression de propos discriminatoires vis-à-vis les Premières Nations serait encouragé les tenants de l’amérindianophobie à persévérer dans leur sinistre croisade, ce qui reviendrait à cautionner les préjugés ethniques et raciaux.

Nous demandons donc au Comité éthique du CIO que M. Richard Pound soit blâmé, pour ses allégations racistes à l’égard des Amérindiens, et qu’une sanction forte soit prononcée afin de laisser savoir aux Canadiens, à la veille de la tenue des Jeux olympiques de Vancouver, que le mouvement olympique n’adhère pas au credo raciste de Richard Pound.

André Dudemaine
Directeur
Terres en vues, société pour la diffusion de la culture autochtone